Musée de Boulogne-sur-Mer - Art d'Océanie et d'Amérique du Nord
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Si les grands musées dédiés aux arts premiers sont connus de toutes et tous, collectionneurs ou non, parmi lesquels le Musée Royal de l’Afrique Centrale auquel nous avons déjà consacré un article ici et un autre là, le Musée du quai Branly, et bien d’autres grandes institutions situées de par le monde, il n’en va pas nécessairement de même en ce qui concerne les structures plus provinciales.
Ainsi, je vous propose de découvrir ici les remarquables collections d’art tribal d’Océanie et d’Amérique du Nord présentées au Musée de Boulogne-sur-Mer.
Des pièces exceptionnelles y sont exposées allant des masques très graphiques des Inuit jusqu’au chefs-d’œuvre de raffinement provenant des îles du Pacifique. Le musée ravira aussi les amateurs de tableaux de maîtres célèbres, d’archéologie égyptienne et grecque.
Vous reconnaîtrez ci-dessous des pièces bien connues, maintes fois publiées. Les rencontrer “en personne” relève cependant d’une expérience bien différente, c’est pourquoi je ne peux que vous inciter à faire le déplacement à Boulogne-sur-Mer pour observer en détails et sous tous les angles ces œuvres intemporelles et vous imprégner de leur puissance.
Le département d’ethnographie extra-européenne
La richesse exceptionnelle du département d'ethnographie extra-européenne inclut une collection d'objets d'Alaska qui rassemble un ensemble unique au monde de masques cérémoniels sugpiat de l'île Kodiak ramené par le boulonnais Alphonse Pinart en 1872.
Une des collections d'art tribal d'Océanie les plus importantes du nord de la France est également conservée au Musée de Boulogne-sur-mer.
Peuples de l’Arctique
La culture Sugpiaq
La culture Sugpiaq était une société de chasseurs de mammifères marins. Elle s'étendait sur la zone continentale du détroit de Prince William, la péninsule du Kenai, la péninsule alaskienne et l'archipel de Kodiak, en Alaska.
Les masques, nommés ginaqua (ce qui signifie «comme un visage, mais pas vraiment») étaient des objets emblématiques de cette culture. Ils étaient utilisés l'hiver, lors de festivités destinées à favoriser la saison de chasse suivante.
Les danses masquées étaient des moments importants de partage de croyances, de préservation de l'équilibre des forces qui régulaient la vie quotidienne.
Cependant, les Russes conquièrent l'ensemble de l'Alaska en 1784.
Développant le commerce des fourrures, ils forcèrent les Sugpiat à travailler dans leurs compagnies et les contraignirent violemment à la chasse et à la pêche en eaux lointaines. Cette domination brutale fit suite à d'importants massacres. Additionnée à de dramatiques épidémies, elle causa la perte de la majeure partie de la population Sugpiaq, ainsi que des croyances, pratiques et productions matérielles essentielles à cette culture. Une société métissée vit alors le jour, les Russes épousant des femmes autochtones. Les croyances sugpiat se fondirent progressivement dans le christianisme orthodoxe russe.
Alphonse Pinart arriva à Kodiak à un moment clé. En effet, les Russes se retiraient peu à peu et les Américains, qui leur avaient acheté l'Alaska cinq ans plus tôt, n'étaient pas encore totalement implantés. En 1871, il devait donc être plus facile d'observer les coutumes sugpiat et de collecter des masques et objets.
Les Sugpiat eurent ensuite à survivre à l'acculturation imposée par le gouvernement américain (interdiction de parler la langue autochtone), au dramatique tremblement de terre de 1964 qui détruisit une grande partie des villages de l'archipel de Kodiak, puis à la marée noire dévastatrice de l'Exxon Valdez en 1989. Malgré cette difficile histoire, le souvenir de certaines pratiques sugpiat a perduré au sein des commu-nautés. Aujourd'hui, des associations et des groupes d'artistes font revivre la tradition des masques et des danses qu'ils accompagnent.
Sur ce kayak miniaturisé, le personnage est en train de projeter une lance employée pour la chasse à la loutre, à l’aide d’un propulseur.
Sa parka en intestin animal lui permet de rester au sec et assure l’étanchéité de son embarcation en étant fixée au rebord de la place.
La culture Yup’ik
Les Yupiit vivent sur la côte Sud-ouest de l'Alaska, dans la région du Yukon-Kuskokwim, la baie de Bristol et l'ile de Nunivak.
Avant les colonisations, les Yupiit étaient une culture semi-nomade. Pendant le printemps et l'été, les familles se dispersaient dans des camps de pêche et de chasse au gré des déplacements du gibier, mais retournaient dans le village permanent pendant l'hiver.
Ces villages pouvaient regrouper jusqu'à 300 personnes. Les hommes vivaient ensemble dans la maison des hommes (gasgiq) et les femmes et les enfants vivaient par groupe dans des maisons semi-souterraines plus petites.
Pendant l'hiver, la gasgiq était le centre de la communauté où se déroulaient les cérémonies traditionnelles telles que le Bladder festival (festival de la vessie).
Dans les croyances Yupiit, le cycle de la vie ne s'interrompt jamais et l'esprit de tout être vivant se réincarne après la mort. Ainsi, l'esprit des animaux chassés doit être traité avec attention pour permettre cette réincarnation.
Le phoque qui reconnaît les mérites d'un chasseur va l'autoriser à le tuer. Son esprit se transporte alors dans sa vessie, ainsi lorsque son corps meurt pour offrir de la nourriture au chasseur, son esprit reste vivant dans la vessie jusqu'à ce qu'il retourne dans la mer.
Le Bladder festival est donc une célébration du cycle de la vie. Le chasseur Yup'ik collecte les vessies des phoques tués pendant la saison et à la fin des célébrations les remet à l'eau pour permettre aux esprits des phoques de renaître pour la saison suivante.
Les contacts des Yupiit avec le monde extérieur ont été plus tardifs que pour les autres cultures d'Alaska. Ceci leur a permis de conserver d'avantage leur style de vie et leurs coutumes.
La langue traditionnelle est toujours parlée et leurs traditions encore connues actuellement. L'étude de la culture Yupik a notamment permis à la culture Sugpiaq très proche de combler des lacunes dans la connaissance de ses propres traditions.
Ci-dessus, un masque “Jenna Class”, culture Kaigani Haida, Côte Sud-Est de l’Alaska composé de bois, verre et tendon. Il date du début du XIXe siècle.
Collecté dans un contexte différent du reste des objets alaskiens du musée, ce masque représentant un visage paré d'un labret (ornement de lèvres) appartient à la culture Kaigani Haida (côte Nord-Ouest des Etats-Unis).
Rapporté par le Vice Amiral de Rosamel qui l'offre au musée de Boulogne en 1838, il est le premier objet alaskien à entrer dans les collections.
Ce masque représente un visage féminin. En effet, dans les cultures Haida, Tlingit et Tsimshian, au moment de l'adolescence, les jeunes filles avaient la lèvre inférieure percée afin d'y insérer un ornement dont la taille devenait de plus en plus importante chaque année. Le port de labret dans la lèvre inférieure était donc réservé aux femmes.
Ce type de masque représentant une femme parée d'un labret est connu dans les cérémonies Haida, cependant celui-ci semble faire partie des objets réalisés dans le but de les offrir en cadeau aux marins européens de passage dans les villages.
En effet, on connaît une douzaine de ces masques sculptés par un même artiste dans les années 1820 à cet effet. Bien que ces masques n'aient pas été portés, ils reprennent les formes et symboles propres aux objets traditionnels.
Le nom de « Jenna Cass », associé à ces masques en raison d'une annotation sur l'un d'entre eux, proviendrait du mot « Djiláqons », désignant une figure féminine récurrente de la mythologie Haida, mère de tous les aigles.
Parcours des mondes : escale dans les lagons et îles volcaniques
Le plaisir des yeux ne s’arrête pas là. Une fois repu des trésors d’art traditionnel arctique, d’autres salles nous emmènent dans les mers du Sud à la découverte des joyaux d’art océanien.
D’île en île, nous découvrons la richesse, la finesse et la diversité des artistes insulaires de Polynésie, de Nouvelle-Zélande, de Nouvelle-Calédonie, des îles Carolines et bien d’autres encore.
Le chef-d'œuvre sculptural ci-dessus, un modèle réduit de pirogue de guerre, fut collecté par Dumont d'Urville sur le navire l'Astrolabe en 1827.
Il l'aurait acquise auprès d'un chef de la baie de Tolaga en Nouvelle-Zélande.
Les pirogues de guerre Waka Taua étaient la fierté des groupes. Elles pouvaient mesurer de 18 à 21 m de long et porter une centaine de guerriers.
La poupe Taurapa se présente sous la forme d'une frise verticale de bois ajourée, dans laquelle une figure de manaia (esprit protecteur) tient deux bandeaux parallèles.
Sur la proue, une figure agressive tirant la langue peut être interprétée comme Tumatauenga, dieu des hommes et de la guerre.
Derrière cette figure, les motifs de spirales encadrant un personnage de face sont souvent compris comme une référence au mythe de la création du monde maori, qui rapporte que la lumière (les spirales) fut introduite dans le monde grâce à la séparation de la mère-terre, Papa, et du père-ciel, Rangi, par leur fils Tane (dieu des forêts).
Ce type de modèle pouvait avoir un usage rituel, et certains furent utilisés comme cadeaux prestigieux aux européens.
La navigation guerrière
Dans de nombreuses régions d'Océanie, les populations entretenaient entre elles des relations d'opposition et l'état de guerre y était parfois une situation endémique.
Les motivations des attaques pouvaient être très diverses : luttes pour le territoire et luttes de pouvoir, vengeance de la mort de l'un des membres du groupe attribuée à la sorcellerie d'un groupe voisin, raisons religieuses et rituelles.
Souvent, les attaques privilégiaient la voie maritime ou fluviale (les affrontements navals semblent toutefois avoir été extrêmement rares) ; les guerriers parés et armés prenaient alors place dans de grandes pirogues de guerre dont on trouve des exemples variés partout en Océanie.
Ces embarcations étaient en général très décorées de motifs aux significations puissantes et pouvaient transporter plusieurs dizaines d'hommes.
De même que la totalité des activités guerrières et des objets matériels en lien avec celles-ci, elles étaient entourées de nombreux interdits et de multiples pratiques magiques destinées à assurer le succès de l'entreprise. Dans la plupart des cas, les affrontements en Océanie étaient très ritualisés et faisaient intervenir des systèmes complexes de compensation du sang versé dans des échanges entre les acteurs.
Loin de n'être qu'un chemin d'attaque, le milieu marin fournissait aussi un certain nombre d'éléments qui s'intégraient à l'équipement du guerrier.
Ainsi des matières dures telles que la nacre, les dents de requins ou les coquillages apparaissaient par exemple dans de nombreuses armes et parures portées lors des guerres.
Le concept de “mana” dans les îles du Pacifique
Les peuples d'Océanie vivent en corrélation avec les ancêtres, les esprits et les dieux.
Les motifs développés pour les représenter se retrouvent dans plusieurs formes d'expression artistique telles que tatouages, masques, statues, tablettes votives et armes cérémonielles.
Les objets d'art sont en effet utilisés pour entrer en contact avec les esprits ou les ancêtres, et pour les faire intervenir dans ce monde.
Ce pouvoir rejoint le concept de « mana ».
Ce terme signifie « puissance », « efficacité », « force de vie ».
Le mana peut être la manifestation du pouvoir des dieux dans le monde des hommes, il s'agit alors d'une force active, associée aux ancêtres et héritée de ces derniers.
Il est aussi considéré comme une substance invisible dont sont pénétrés les objets et les êtres humains.
Les hommes le reçoivent des esprits du clan par transmission généalogique ou encore l'obtiennent des dieux ou des forces cosmiques. Ils le conservent s'ils se comportent bien; sinon, ils le perdent. La possession du mana se révèle par la réussite dans les différentes actions.
Dans toutes les cultures où ce concept est en usage, l'œuvre d'art est l'un des principaux moyens permettant d'appeler le mana dans ce monde-ci.
Le choix des matériaux et de l'iconographie répond à cette préoccupation.
Le corpus des célèbres massues u’u des îles Marquises est restreint et amplement documenté, en partie grâce au travail réalisé par le Musée du quai Branly.
Lors du vernissage de notre galerie en 2022, nous en exposions une au public, qui a trouvé un heureux acquéreur depuis.
Ci-dessous, divers types de massues et casse-têtes du Pacifique dont une massue Ula des îles Fidji dont un bel exemplaire est disponible à la galerie.
C’est également un masque des îles Carolines qui détient actuellement le record du monde de prix payé par un enchérisseur : l’acheteur du masque tapuanu de la collection Michel Périnet a en effet du débourser 9 171 000 € chez Christie’s Paris en 2021 pour l’obtenir.
Des collections d’objets d’art tribal d’Afrique, d’Océanie et du Grand Nord à découvrir en bord de mer, à quelques heures de route de la Belgique.
Pour une découverte plus proche de chez vous, visitez notre galerie située au cœur de la ville de Nivelles, à quelques kilomètres de Bruxelles. Des chefs-d'œuvre moins connus vous y attendent.