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Nos articles de blog consacrés à des événements et des lieux liés de près ou de loin au domaine de l’art tribal africain.

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Trésors de Polynésie : Musée du Malgré-Tout à Treignes

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Parcours des mondes d’Océanie

Voilà une exposition que beaucoup auront certainement manquée : une collection d’art océanien en voyage à Treignes, un petit village de la commune de Viroinval en province de Namur.

En 2008, les Musées royaux d'Art et d'Histoire ont exploré le thème de Rapa Nui (île de Pâques), une petite île du Pacifique Sud, pour laquelle ils bénéficient d'une expertise de longue date. En 1934, à l'initiative du Musée de l'Homme à Paris, l'institution bruxelloise participa à une première expédition sur cette île lointaine, couronnée par le don par le Chili et la population de Rapa Nui d'une statue authentique, rapportée en Belgique à bord du Mercator, un navire-école belge aujourd'hui devenu musée à Ostende.

Depuis lors, les Musées royaux ont entretenu des liens privilégiés avec Rapa Nui, organisant une vingtaine de missions archéologiques entre 2001 et 2019.

Le commissaire Nicolas Cauwe et son équipe mettent à l'honneur l'ensemble de la Polynésie, avec plus de 80 objets issus des îles Fidji, des Samoa, de Tonga, des îles Cook, de Tahiti, des Marquises, de Nouvelle-Zélande, d'Hawaii et de Rapa Nui. Ces pièces illustreront l'incroyable aventure maritime des Polynésiens, qui, dès le Ier millénaire av. J.-C., explorèrent et peuplèrent les îles et atolls du Pacifique central et oriental.

« Trésors de Polynésie » met en valeur les collections des Musées royaux dans le cadre d'une exposition temporaire qui ravira les amateurs dans la région de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

Sans plus attendre, parcourez un ensemble non exhaustif de trésors exposés au Musée du Malgré-Tout à cette occasion.

Variété des formes au travers des massues océaniennes

Massue Sali (à droite) - Massue Ula Drisia (à gauche), îles Fidji

Le sali est une plante de la famille des bananiers, reconnaissable à sa fleur asymétrique en forme de « griffe ». Par analogie, son nom désigne aussi une massue à bec asymétrique.
Ces casse-têtes, toujours sculptés d’une seule pièce de bois, arborent généralement un quadrillage gravé en guise de décor. Leur extrémité plate permettait de frapper, tandis que le bec servait aux attaques d’estoc. Comme les massues totokia, elles nécessitaient un façonnage patient dès la croissance de l’arbre pour obtenir la forme souhaitée.

Collier wasekaseka, îles Fidji

Les colliers wasekaseka, confectionnés à partir de dents de cachalot, étaient des ornements prestigieux réservés aux chefs et servaient parfois de rançon en temps de guerre.
Apparues au début du XIXe siècle, ces parures devinrent plus courantes grâce à la chasse au cachalot pratiquée par les Européens et les Américains. Leur fabrication était principalement assurée par des artisans samoans et tongiens installés aux Fidji. À l’aide d’outils métalliques introduits par les marins, les dents étaient découpées, courbées, puis polies avec soin. Cette technique sophistiquée renforçait leur valeur culturelle.

Massue totokia des îles Fidji

Les totokia étaient des massues fidjiennes associées aux guerriers de haut rang ; certaines portaient même un nom. Au XIXe siècle, le missionnaire Thomas Williams en a relevé plusieurs aux significations évocatrices, comme « Pour la guerre, même si tout est en paix » ou « Dégât au-delà de l’espoir ».
Leur fabrication sophistiquée nécessitait des années de travail, le manche étant formé en guidant la croissance d’un arbre et la tête sculptée dans le collet du tronc. Ces armes, précieuses aux guerriers qui souhaitaient être enterrés avec, ont même inspiré le « gaderffii » des Tuskens dans Star Wars.

Manche de chasse-mouche des îles Cook (ou de Polynésie française)

Ce chasse-mouche, attribué aux îles Cook mais pouvant aussi provenir de Tahiti ou des îles Australes, date probablement d’avant l’arrivée des Européens, ayant été façonné sans outils métalliques. Son manche se termine par une figure anthropomorphe, un tiki féminin, symbole d’un ancêtre divinisé. La finesse du bois et du travail suggère qu’il appartenait à une personne de haut rang.
Un œilleton à son extrémité permettait d’y fixer des feuilles ou des cheveux humains pour former la houppe. Sa qualité exceptionnelle en fait un chef-d’œuvre de l’art tribal polynésien.

Navigation, pêche et arts dans le Pacifique

Hameçon pa’atu, Tonga

Les hameçons composites appelés pa’atu aux îles Tonga, typiques de la Polynésie, combinaient bois, nacre et fixation souple pour optimiser la pêche à la bonite. Au-delà de leur efficacité, ils étaient chargés de mana, une force spirituelle liée aux matériaux utilisés. Certains reflétaient aussi le statut social de leur propriétaire. Cet aspect symbolique a inspiré l’hameçon magique du demi-dieu Maui dans le film Vaiana (2016).

Herminettes toki, île de Mangaia

Sur l’île de Mangaia, certaines herminettes, dotées de manches richement sculptés et non fonctionnels, avaient un rôle purement cérémoniel. Sculptées d’un seul bloc monoxyle, elles témoignent d’un artisanat raffiné. Leurs lames en pierre, fixées par des liens en fibres végétales aux motifs élaborés, étaient parfois perçues comme des représentations divines.
Une légende raconte que le dieu Tanemataariki se serait incarné dans une herminette pour échapper aux missionnaires. Ces objets avaient une grande valeur culturelle, et dès le XIXe siècle, des modèles furent fabriqués pour satisfaire la demande des visiteurs étrangers. Les herminettes ajourées étaient appelées toki mahia, tandis que celles au manche plein portaient le nom de toki tamaki.

Nous vous proposons en galerie un bel exemplaire d’herminette toki tamaki, voir ici.

Pagaie cérémonielle des îles Cook, XIXe siècle

Les îles Cook et l’archipel des Australes sont réputés pour leurs pagaies en bois finement décorées. Curieusement, elles n’ont été répertoriées qu’au XIXe siècle, alimentant l’idée qu’elles étaient conçues pour le commerce avec les marins européens. Pourtant, des témoignages espagnols du XVIIIe siècle mentionnent des pagaies ouvragées à Raivavae, et des pagaies cérémonielles similaires existent à Rapa Nui, certaines datant d’avant le contact avec les Européens. Il est donc probable que cet art soit bien plus ancien. Leur décoration sophistiquée suggère un usage cérémoniel ou sacré plutôt que pratique.

Massue fa’alautalinga, Samoa

Talinga signifie champignon, d’où le nom des massues fa'alautalinga, en forme de champignon. Le décor de leur tête symbolise à la fois l’emballage des armes dans des étoffes et la puissance qu’elles incarnent. Leur manche, souvent perforé, facilitait leur suspension, une caractéristique courante en Samoa et à Tonga. Les échanges étroits entre ces archipels rendent parfois difficile leur distinction, hormis par le support des trous de suspension : une languette plate et triangulaire aux Samoa, un bouton plus massif à Tonga.

Statue ti’i, Tahiti (à droite) - Pilon penu (à gauche)

Les représentations d’ancêtres divinisés sont essentielles en Polynésie et varient selon les îles. Appelés ti’i à Tahiti et tiki ailleurs, ces figures étaient associées aux sites cultuels (marae) ou marquaient des zones temporairement taboues.
Selon les récits du XVIIIe siècle, elles n’étaient « habitées » que lors de cérémonies spécifiques. L’explorateur Thor Heyerdahl voyait en elles une preuve d’origine sud-américaine des Polynésiens, mais cette hypothèse, invalidée par des preuves linguistiques et génétiques, a été abandonnée au profit de l’origine asiatique.

Guerre et esthétique dans les arts premiers d’Océanie

Massue U’u, îles Marquises

Le u’u est la massue emblématique des Marquises, à la fois arme et symbole de pouvoir pour les chefs. Plus grande et plus lourde que toutes les autres massues polynésiennes, elle était fabriquée sur mesure. Son décor complexe entrelace des figures de tiki et de divinités, renforçant son mana (force spirituelle). Comme Janus, ses faces évoquent un visage humain qui semble toujours fixer l’adversaire, avec des yeux et nez formés de petits tiki. Certains motifs rappellent le tatouage « yeux brillants », lié aux prêtres et aux rites funéraires. Sa teinte sombre résultait d’une immersion dans des champs de taro, suivie d’un polissage à l’huile de coco.

Éventail tahi’i, îles Marquises

Aux Marquises, « porter l’éventail » symbolisait le pouvoir, réservé aux ariki (chefs), à leurs épouses et à quelques dignitaires. Les tahi’i servaient aussi d’offrandes entre chefs et pouvaient exprimer un souhait de paix. Leur vannerie sophistiquée, souvent blanchie au kaolin ou au corail pilé, constituait un décor à part entière. Les manches, en bois, en ivoire ou combinant les deux, étaient richement sculptés, intégrant des figures de tiki (ancêtres), emblématiques de l’art marquisien.

Récipient umete, îles Marquises

En Polynésie, la préparation des repas obéit à des règles strictes (tapu), séparant les aliments des hommes et des femmes. Les umete (récipients) jouent un rôle symbolique dans ce rituel, ornés de motifs inspirés des tapa (textiles en écorce battue) et de figures de tiki (ancêtres). La fabrication artisanale, considérée comme une création sacrée, nécessitait l’isolement des artisans pour éviter toute contamination spirituelle.
Conscients de l’intérêt des étrangers, les Marquisiens produisirent aussi ces objets pour le commerce, notamment au XIXe siècle, échangeant certains contre des armes dans une tentative de résistance face à la colonisation européenne.

Ornement d’oreille pour homme ha’akai, îles Marquises

Ornements d’oreille pour femme taiana, îles Marquises

Aux îles Marquises, tatouages et parures occupent une place essentielle. Les parures éphémères (fleurs, feuilles, plumes) étaient les plus courantes, mais on trouvait aussi des colliers, diadèmes en nacre ou écaille de tortue, et divers ornements d’oreille. Les taiana, fixés par un ergot, étaient destinés aux femmes, tandis que les ha’akai, attachés par une cordelette, étaient réservés aux hommes.
Tous ces bijoux étaient ornés de tiki (ancêtres). En 1843, l’explorateur Edmond Ginoux de la Coche remarqua que chaque Marquisien portait quotidiennement ces ornements, personne n’osant se montrer sans les oreilles « garnies ».

Bandeau frontal peue ei, îles Marquises

Au XIXe siècle, un peue ei était estimé à la valeur de quatre cochons, soulignant son importance. Ces colliers, apparus après les premiers contacts avec les Européens, étaient souvent échangés avec les marins de passage. Composés de petites dents de dauphin regroupées en bouquets, ils étaient fixés sur des boucles en fibre de coco rigidifiées par des perles de verre. L’ensemble était monté sur un bandeau tressé, ajoutant à leur raffinement.

Récipient umete, îles Marquises

Prestige et autorité au cœur des arts du Pacifique

Repose-pieds d’échasse tapuvae, îles Marquises

Lors de certaines cérémonies, notamment funéraires, les jeunes Marquisiens s'affrontaient dans des combats d'échasses, représentant leur clan, village ou vallée. Les chutes étaient moquées avec bienveillance par le public. Le sens précis de ces joutes reste inconnu, mais elles pourraient symboliser des affrontements guerriers.
Les étriers des échasses, sculptés en forme de tiki (ancêtre), avaient leur chignon comme repose-pied. Les deux pièces présentées ici proviennent de paires d'échasses distinctes.

Anneau en forme de figurine anthropomorphe tiki ivi p'o’o, îles Marquises

Le tiki (ancêtre) marquisien domine l’ornementation, non comme une simple représentation, mais pour renforcer le mana (force intrinsèque) des objets.
Les tiki ivi po'o, sculptés dans de l'os humain (fémur ou humérus d’un proche défunt), possèdent une puissance particulière et ornaient des objets sacrés comme des trompes, tambours ou plats.
L’exemplaire présenté ici se distingue par l’ajout de cheveux humains en petites boucles, un élément hautement symbolique en Polynésie, renforçant encore son mana. Des pratiques similaires existaient à Rapa Nui et Hawaii, où les cheveux servaient à orner des offrandes ou des insignes de pouvoir.

Statuette tiki, îles Marquises

Pipe, Nouvelle-Zélande

Dès les premiers contacts avec le monde extérieur, les Maoris adoptèrent le tabac comme un bien de prestige réservé à leurs hauts dignitaires, hommes et femmes. Ils commencèrent rapidement à fabriquer leurs propres pipes, s’inspirant des modèles anglais tout en y intégrant des motifs traditionnels.
Ces ornements leur conféraient non seulement du mana (force spirituelle) mais aussi un statut symbolique et prestigieux.

Lance taiaha, Nouvelle-Zélande

Les sociétés maories étaient marquées par des conflits fréquents, ce qui explique la présence de fortifications (pa), rares en Polynésie. Le taiaha est une arme emblématique, souvent appelée lance bien qu’elle ne soit ni projetée ni utilisée d’estoc. Elle possède deux extrémités actives : l'une, en forme de langue sortant d’un double visage de tiki (ancêtre), servait à frapper l’adversaire au ventre, tandis que l’autre, une lame plate, visait le haut du corps en cas d’esquive. Son maniement, basé sur des rotations rapides à deux mains, évoque celui d’une double pagaie.
Aujourd’hui encore, des écoles enseignent l’art du taiaha, désormais utilisé dans des combats symboliques (wero), où le guerrier doit impressionner sans toucher son adversaire.

Collier de noble lei niho palaoa, Hawaii

Le lei désigne le collier, le niho la dent et le pala'o le morse. Ces colliers, ornés d’un grand crochet, étaient réservés aux élites, hommes et femmes. D’abord sculptés en pierre, nacre ou bois, ils ont ensuite intégré des dents de mammifères marins, obtenues auprès des baleiniers du XIXe siècle. Les tresses soutenant le crochet, hautement symboliques, étaient réalisées en cheveux humains soigneusement nattés.
Un seul lei niho pala'o nécessitait environ 300 tresses, soit 400 m de cheveux, un matériau sacré pour les Maoris, qui associaient à la tête et aux cheveux un mana puissant.

Massue kotiate, Nouvelle-Zélande

Semblables aux patu, les kotiate sont des armes de poing utilisées pour frapper l’adversaire au niveau du foie. Fabriqués en bois ou en os, ils arborent des motifs décoratifs typiquement maoris. Cependant, leur fonction était avant tout symbolique : les chefs les brandissaient lors de leurs discours et leur attribuaient souvent un nom propre.
Ainsi, en 1883, lors d’un accord de paix, le chef Tawhiao, roi d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande), offrit aux Anglais son kotiate, nommé Apanui.

Hameçons en pierre mangai maea, Rapa Nui

Divinités et arts dans les Mers du Sud

Pochoir et outils pour la décoration de textiles en écorce battue tapa, Hawaii et Wallis-et-Futuna

La fabrication du tapa, également appelé kapa à Hawaï, est une pratique ancestrale en Polynésie. Ce tissu est confectionné à partir de l'écorce interne de certains arbres, principalement le mûrier à papier (Broussonetia papyrifera).
Après avoir récolté et trempé l'écorce, celle-ci est battue avec des maillets en bois pour obtenir une étoffe fine et souple. Les motifs décoratifs sont ensuite appliqués à l'aide de colorants végétaux, utilisant diverses techniques telles que le tamponnage, le pochoir ou le dessin à main levée.
À Wallis-et-Futuna, le tapa, connu sous le nom de gatu ou siapo, revêt une importance culturelle particulière. Sa confection mobilise souvent les femmes de la communauté, notamment lors de la réalisation de grandes pièces destinées aux cérémonies traditionnelles. Les motifs et les techniques varient selon les îles, reflétant la richesse et la diversité des traditions polynésiennes.

De gauche à droite objets de l’île de Pâques :
- Tête de dieu Makemake
- Massue ua
- Chapeau hau maroki
- Crâne d’ancêtre
- Niuhi (esprit)

Figurine d’homme aux côtes moai kavakava, Rapa Nui

Les moai kavakava sont les statuettes en bois les plus emblématiques de Rapa Nui. Représentant des figures mi-chair, mi-squelette (kavakava signifie « côte »), leur fonction exacte reste inconnue.
Selon des témoignages du XIXe siècle, elles étaient exhibées lors de fêtes, portées à la main ou suspendues au cou. En Polynésie, les figures squelettiques sont associées aux esprits de l’au-delà (varua ou akuaku), redoutés pour leur influence bénéfique ou maléfique.
Ces statues rappellent les hey tiki d’Aotearoa, dont les côtes sont aussi sculptées. Fabriqués en toromiro, un bois sacré soumis à des tapu, certains moai kavakava sont datés du XVe siècle, dont cet exemplaire, l’un des plus remarquables connus.

Figurine d’homme-lézard moai tangata moko, Rapa Nui

Les moai tangata moko sont des figures hybrides associant la silhouette d’un lézard (moko) à des traits humains (tangata), comme le sexe, les membres et une partie du squelette. Leur apparence mi-chair, mi-squelette les classe parmi les esprits. Jusqu’au début du XXe siècle, ils étaient agités devant les nouvelles maisons pour éloigner les mauvais esprits et exhibés lors de cérémonies.
L’exemplaire présenté ici est l’un des plus remarquables connus, son corps courbé épousant la forme naturelle de la branche de toromiro (arbre sacré) dans laquelle il a été sculpté.

Figurine tiki, Nouvelle-Zélande

En Aotearoa (Nouvelle-Zélande), comme partout en Polynésie, les figures d’ancêtres (tiki) sont omniprésentes, ornant architectures, armes et objets du quotidien. L’exemplaire présenté ici appartient à un art tardif destiné aux échanges, avec des motifs gravés reprenant les tatouages faciaux traditionnels, appelés moko.
Fondamental dans la culture maorie, le moko était soumis à des tapu (tabous) et portait une signification précise, loin d’un simple choix esthétique. Il était réalisé à l’aide d’outils en os et en bois, avec une encre tirée de baies.

Une visite de l’exposition “Trésors de Polynésie” fêtant le 40ᵉ anniversaire du Musée du Malgré-Tout – Parc de la Préhistoire à Treignes.

Bien que souvent idéalisée comme un paradis tropical, cette région du Pacifique central et oriental demeure méconnue en Europe. Pourtant, elle témoigne de l’extraordinaire maîtrise maritime des Polynésiens, qui, en trois à quatre millénaires, ont peuplé des centaines d’îles dispersées sur plus de 160 millions de km² d’océan.

La Polynésie est aussi un monde où tout est imprégné de mana, une force intrinsèque, conférant aux objets et aux paysages une signification particulière. Ce regard unique sur l’univers se reflète dans des traditions et un artisanat d’une grande richesse.

L’exposition présente 90 artéfacts remarquables issus de Tahiti, des Marquises, de la Nouvelle-Zélande, de Rapa Nui, des îles Cook, des Samoa et de Tonga, offrant ainsi une immersion dans ces cultures fascinantes.

Musée de Boulogne-sur-Mer - Art d'Océanie et d'Amérique du Nord

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Si les grands musées dédiés aux arts premiers sont connus de toutes et tous, collectionneurs ou non, parmi lesquels le Musée Royal de l’Afrique Centrale auquel nous avons déjà consacré un article ici et un autre là, le Musée du quai Branly, et bien d’autres grandes institutions situées de par le monde, il n’en va pas nécessairement de même en ce qui concerne les structures plus provinciales.

Ainsi, je vous propose de découvrir ici les remarquables collections d’art tribal d’Océanie et d’Amérique du Nord présentées au Musée de Boulogne-sur-Mer.

Des pièces exceptionnelles y sont exposées allant des masques très graphiques des Inuit jusqu’au chefs-d’œuvre de raffinement provenant des îles du Pacifique. Le musée ravira aussi les amateurs de tableaux de maîtres célèbres, d’archéologie égyptienne et grecque.

Vous reconnaîtrez ci-dessous des pièces bien connues, maintes fois publiées. Les rencontrer “en personne” relève cependant d’une expérience bien différente, c’est pourquoi je ne peux que vous inciter à faire le déplacement à Boulogne-sur-Mer pour observer en détails et sous tous les angles ces œuvres intemporelles et vous imprégner de leur puissance.

Le département d’ethnographie extra-européenne

La richesse exceptionnelle du département d'ethnographie extra-européenne inclut une collection d'objets d'Alaska qui rassemble un ensemble unique au monde de masques cérémoniels sugpiat de l'île Kodiak ramené par le boulonnais Alphonse Pinart en 1872.

Une des collections d'art tribal d'Océanie les plus importantes du nord de la France est également conservée au Musée de Boulogne-sur-mer.

Masque Koniag, île Kodiak, Alaska

Cet masque est publié sur la couverture de l’ouvrage L’art du Grand Nord, Citadelles & Mazenod, 2001

Peuples de l’Arctique

La culture Sugpiaq

La culture Sugpiaq était une société de chasseurs de mammifères marins. Elle s'étendait sur la zone continentale du détroit de Prince William, la péninsule du Kenai, la péninsule alaskienne et l'archipel de Kodiak, en Alaska.

Les masques, nommés ginaqua (ce qui signifie «comme un visage, mais pas vraiment») étaient des objets emblématiques de cette culture. Ils étaient utilisés l'hiver, lors de festivités destinées à favoriser la saison de chasse suivante.
Les danses masquées étaient des moments importants de partage de croyances, de préservation de l'équilibre des forces qui régulaient la vie quotidienne.

Ensemble de masques Sugpiaq, île Kodiak, Alaska

D'en haut à gauche vers en bas à droite :

1. Angun / Vieil homme

2. Nallumalik / Celui qui ne sait pas

3. Nom illisible

4. Asghigik / Celui qui de la chance

5. Ingillagayak / Celui qui annonce le temps

6. Yuaulik / Chercheur

7. Payulik / Celui qui apporte la nourriture

8. Unartuliq / Protecteur

9. Unnuyayuk / Voyageur de nuit

10. Agu'lik / Large masque

Cependant, les Russes conquièrent l'ensemble de l'Alaska en 1784.
Développant le commerce des fourrures, ils forcèrent les Sugpiat à travailler dans leurs compagnies et les contraignirent violemment à la chasse et à la pêche en eaux lointaines. Cette domination brutale fit suite à d'importants massacres. Additionnée à de dramatiques épidémies, elle causa la perte de la majeure partie de la population Sugpiaq, ainsi que des croyances, pratiques et productions matérielles essentielles à cette culture. Une société métissée vit alors le jour, les Russes épousant des femmes autochtones. Les croyances sugpiat se fondirent progressivement dans le christianisme orthodoxe russe.

Alphonse Pinart arriva à Kodiak à un moment clé. En effet, les Russes se retiraient peu à peu et les Américains, qui leur avaient acheté l'Alaska cinq ans plus tôt, n'étaient pas encore totalement implantés. En 1871, il devait donc être plus facile d'observer les coutumes sugpiat et de collecter des masques et objets.

Les Sugpiat eurent ensuite à survivre à l'acculturation imposée par le gouvernement américain (interdiction de parler la langue autochtone), au dramatique tremblement de terre de 1964 qui détruisit une grande partie des villages de l'archipel de Kodiak, puis à la marée noire dévastatrice de l'Exxon Valdez en 1989. Malgré cette difficile histoire, le souvenir de certaines pratiques sugpiat a perduré au sein des commu-nautés. Aujourd'hui, des associations et des groupes d'artistes font revivre la tradition des masques et des danses qu'ils accompagnent.

 

Masque Kugukauk / Le préféré, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak, Alaska

Masque, nom inconnu, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak, Alaska

Masque, Nakllegnaq / Le pitoyable, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Masque Shugashat (féminin), culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Masque Igyuyrtulik / Chercheur, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Masque Allayak / Différent (féminin), culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Masque cérémoniel Nayurta / Le veilleur, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Masque cérémoniel Lurtusqaq / Celui qui est large, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Masque cérémoniel Giinasinaq / Grand visage, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Masque cérémoniel Qarua’at’stun Elnguq / Comme un corbeau, culture Sugpiaq, archipel de Kodiak

Modèle réduit de kayak, culture Unangax, îles Aléoutiennes (Unalaska), XIXe siècle

Sur ce kayak miniaturisé, le personnage est en train de projeter une lance employée pour la chasse à la loutre, à l’aide d’un propulseur.
Sa parka en intestin animal lui permet de rester au sec et assure l’étanchéité de son embarcation en étant fixée au rebord de la place.

La culture Yup’ik


Les Yupiit vivent sur la côte Sud-ouest de l'Alaska, dans la région du Yukon-Kuskokwim, la baie de Bristol et l'ile de Nunivak.

Avant les colonisations, les Yupiit étaient une culture semi-nomade. Pendant le printemps et l'été, les familles se dispersaient dans des camps de pêche et de chasse au gré des déplacements du gibier, mais retournaient dans le village permanent pendant l'hiver.
Ces villages pouvaient regrouper jusqu'à 300 personnes. Les hommes vivaient ensemble dans la maison des hommes (gasgiq) et les femmes et les enfants vivaient par groupe dans des maisons semi-souterraines plus petites.

Lunettes à neige, culture Yup’ik, Saint-Michel, Baie de Norton, Alaska, XIXe siècle

Pendant l'hiver, la gasgiq était le centre de la communauté où se déroulaient les cérémonies traditionnelles telles que le Bladder festival (festival de la vessie).
Dans les croyances Yupiit, le cycle de la vie ne s'interrompt jamais et l'esprit de tout être vivant se réincarne après la mort. Ainsi, l'esprit des animaux chassés doit être traité avec attention pour permettre cette réincarnation.
Le phoque qui reconnaît les mérites d'un chasseur va l'autoriser à le tuer. Son esprit se transporte alors dans sa vessie, ainsi lorsque son corps meurt pour offrir de la nourriture au chasseur, son esprit reste vivant dans la vessie jusqu'à ce qu'il retourne dans la mer.
Le Bladder festival est donc une célébration du cycle de la vie. Le chasseur Yup'ik collecte les vessies des phoques tués pendant la saison et à la fin des célébrations les remet à l'eau pour permettre aux esprits des phoques de renaître pour la saison suivante.

Les contacts des Yupiit avec le monde extérieur ont été plus tardifs que pour les autres cultures d'Alaska. Ceci leur a permis de conserver d'avantage leur style de vie et leurs coutumes.
La langue traditionnelle est toujours parlée et leurs traditions encore connues actuellement. L'étude de la culture Yupik a notamment permis à la culture Sugpiaq très proche de combler des lacunes dans la connaissance de ses propres traditions.

 

Support de pagaie en forme de nageoire de morse, culture Yup’ik, île de Nunivak, Alaska, XIXe siècle

Ci-dessus, un masque “Jenna Class”, culture Kaigani Haida, Côte Sud-Est de l’Alaska composé de bois, verre et tendon. Il date du début du XIXe siècle.

Collecté dans un contexte différent du reste des objets alaskiens du musée, ce masque représentant un visage paré d'un labret (ornement de lèvres) appartient à la culture Kaigani Haida (côte Nord-Ouest des Etats-Unis).
Rapporté par le Vice Amiral de Rosamel qui l'offre au musée de Boulogne en 1838, il est le premier objet alaskien à entrer dans les collections.

Ce masque représente un visage féminin. En effet, dans les cultures Haida, Tlingit et Tsimshian, au moment de l'adolescence, les jeunes filles avaient la lèvre inférieure percée afin d'y insérer un ornement dont la taille devenait de plus en plus importante chaque année. Le port de labret dans la lèvre inférieure était donc réservé aux femmes.

Ce type de masque représentant une femme parée d'un labret est connu dans les cérémonies Haida, cependant celui-ci semble faire partie des objets réalisés dans le but de les offrir en cadeau aux marins européens de passage dans les villages.
En effet, on connaît une douzaine de ces masques sculptés par un même artiste dans les années 1820 à cet effet. Bien que ces masques n'aient pas été portés, ils reprennent les formes et symboles propres aux objets traditionnels.

Le nom de « Jenna Cass », associé à ces masques en raison d'une annotation sur l'un d'entre eux, proviendrait du mot « Djiláqons », désignant une figure féminine récurrente de la mythologie Haida, mère de tous les aigles.

Visière de chasseur elqiaq, culture Yup’ik, Saint-Michel, Baie de Norton, Alaska, XIXe siècle

Parcours des mondes : escale dans les lagons et îles volcaniques

Le plaisir des yeux ne s’arrête pas là. Une fois repu des trésors d’art traditionnel arctique, d’autres salles nous emmènent dans les mers du Sud à la découverte des joyaux d’art océanien.

D’île en île, nous découvrons la richesse, la finesse et la diversité des artistes insulaires de Polynésie, de Nouvelle-Zélande, de Nouvelle-Calédonie, des îles Carolines et bien d’autres encore.

Modèle réduit de pirogue de guerre, culture Maori, Nouvelle-Zélande, XIXe siècle

Le chef-d'œuvre sculptural ci-dessus, un modèle réduit de pirogue de guerre, fut collecté par Dumont d'Urville sur le navire l'Astrolabe en 1827.
Il l'aurait acquise auprès d'un chef de la baie de Tolaga en Nouvelle-Zélande.

Les pirogues de guerre Waka Taua étaient la fierté des groupes. Elles pouvaient mesurer de 18 à 21 m de long et porter une centaine de guerriers.

La poupe Taurapa se présente sous la forme d'une frise verticale de bois ajourée, dans laquelle une figure de manaia (esprit protecteur) tient deux bandeaux parallèles.

Sur la proue, une figure agressive tirant la langue peut être interprétée comme Tumatauenga, dieu des hommes et de la guerre.
Derrière cette figure, les motifs de spirales encadrant un personnage de face sont souvent compris comme une référence au mythe de la création du monde maori, qui rapporte que la lumière (les spirales) fut introduite dans le monde grâce à la séparation de la mère-terre, Papa, et du père-ciel, Rangi, par leur fils Tane (dieu des forêts).

Ce type de modèle pouvait avoir un usage rituel, et certains furent utilisés comme cadeaux prestigieux aux européens.

La navigation guerrière

Dans de nombreuses régions d'Océanie, les populations entretenaient entre elles des relations d'opposition et l'état de guerre y était parfois une situation endémique.

Les motivations des attaques pouvaient être très diverses : luttes pour le territoire et luttes de pouvoir, vengeance de la mort de l'un des membres du groupe attribuée à la sorcellerie d'un groupe voisin, raisons religieuses et rituelles.

Souvent, les attaques privilégiaient la voie maritime ou fluviale (les affrontements navals semblent toutefois avoir été extrêmement rares) ; les guerriers parés et armés prenaient alors place dans de grandes pirogues de guerre dont on trouve des exemples variés partout en Océanie.

Miniature de proue de pirogue, culture Maori, Nouvelle-Zélande, XIXe siècle

Ces embarcations étaient en général très décorées de motifs aux significations puissantes et pouvaient transporter plusieurs dizaines d'hommes.
De même que la totalité des activités guerrières et des objets matériels en lien avec celles-ci, elles étaient entourées de nombreux interdits et de multiples pratiques magiques destinées à assurer le succès de l'entreprise. Dans la plupart des cas, les affrontements en Océanie étaient très ritualisés et faisaient intervenir des systèmes complexes de compensation du sang versé dans des échanges entre les acteurs.

Loin de n'être qu'un chemin d'attaque, le milieu marin fournissait aussi un certain nombre d'éléments qui s'intégraient à l'équipement du guerrier.
Ainsi des matières dures telles que la nacre, les dents de requins ou les coquillages apparaissaient par exemple dans de nombreuses armes et parures portées lors des guerres.

Pagaie cérémonielle, archipel des Australes, Polynésie française

Le concept de “mana” dans les îles du Pacifique

Les peuples d'Océanie vivent en corrélation avec les ancêtres, les esprits et les dieux.
Les motifs développés pour les représenter se retrouvent dans plusieurs formes d'expression artistique telles que tatouages, masques, statues, tablettes votives et armes cérémonielles.

Les objets d'art sont en effet utilisés pour entrer en contact avec les esprits ou les ancêtres, et pour les faire intervenir dans ce monde.

Ce pouvoir rejoint le concept de « mana ».

 

Statue Tiki, archipel des Marquises, Polynésie française, XIXe siècle

Ce terme signifie « puissance », « efficacité », « force de vie ».
Le mana peut être la manifestation du pouvoir des dieux dans le monde des hommes, il s'agit alors d'une force active, associée aux ancêtres et héritée de ces derniers.
Il est aussi considéré comme une substance invisible dont sont pénétrés les objets et les êtres humains.
Les hommes le reçoivent des esprits du clan par transmission généalogique ou encore l'obtiennent des dieux ou des forces cosmiques. Ils le conservent s'ils se comportent bien; sinon, ils le perdent. La possession du mana se révèle par la réussite dans les différentes actions.

Dans toutes les cultures où ce concept est en usage, l'œuvre d'art est l'un des principaux moyens permettant d'appeler le mana dans ce monde-ci.

Le choix des matériaux et de l'iconographie répond à cette préoccupation.

Étriers d’échasses, archipel des Marquises, Polynésie française

Massues U’u, archipel des Marquises, Polynésie française

Le corpus des célèbres massues u’u des îles Marquises est restreint et amplement documenté, en partie grâce au travail réalisé par le Musée du quai Branly.

Lors du vernissage de notre galerie en 2022, nous en exposions une au public, qui a trouvé un heureux acquéreur depuis.

Ci-dessous, divers types de massues et casse-têtes du Pacifique dont une massue Ula des îles Fidji dont un bel exemplaire est disponible à la galerie.

Masque Kanak, Nouvelle-Calédonie

Statuette Korwar, Papouasie-Nouvelle-Guinée

Masque Tapuanu, îles Mortlock / îles Carolines

C’est également un masque des îles Carolines qui détient actuellement le record du monde de prix payé par un enchérisseur : l’acheteur du masque tapuanu de la collection Michel Périnet a en effet du débourser 9 171 000 € chez Christie’s Paris en 2021 pour l’obtenir.

Appuie-nuque, rivière Pora-Pora, Papouasie-Nouvelle-Guinée

Des collections d’objets d’art tribal d’Afrique, d’Océanie et du Grand Nord à découvrir en bord de mer, à quelques heures de route de la Belgique.

Pour une découverte plus proche de chez vous, visitez notre galerie située au cœur de la ville de Nivelles, à quelques kilomètres de Bruxelles. Des chefs-d'œuvre moins connus vous y attendent.